Lors de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes qu’est le 8 mars, nous étions nombreux·ses à revendiquer un changement profond de système pour construire une société juste, égalitaire et féministe. Afin de prolonger ce temps fort, EHBai souhaite, par une série de portraits, mettre en lumière des élues abertzale de gauche qui oeuvrent tous les jours pour un Pays Basque juste, écologiste et féministe.
Aujourd’hui nous interviewons : Argitxu Hiriart-Urruty, cheffe de file des abertzale de gauche au sein du conseil municipal de Kanbo !
Tu as été tête de liste de Nahi Dugun Herria en 2014 et en 2020, aujourd’hui tu es la cheffe de file des abertzale de gauche au sein du conseil municipal de Kanbo : quel a été ton parcours militant avant d’être élue ?
Cheffe de file me semble un peu présomptueux ; je fais partie d’une équipe où il n’y a pas de « chef·fe ».
Je suis militante depuis mes 15 ans car j’ai eu des enseignant·es qui m’ont ouvert les yeux sur notre identité et toutes les ségrégations et humiliations que nous avons subies nous, nos parents, nos aïeuls, en tant qu’eskualdun. Puis une implication au sein du comité des fêtes d’Armendaritze avec un renversement de la présidence qui ne voulait pas prêter le trinquet à l’ikastola de Donapaule. Nous, mes 4 sœurs, 1 copine, 2 copains et moi, avons permis que la romeria se fasse au trinquet. L’année suivante nous avons fait venir Itoiz, Akelarre et tenu un bar du comité pour la première fois dans ce village. Je garde un souvenir très fort de cette période où nous nous sommes heurté·es aux « vieux » du comité et aux jeunes du village qui ne voulaient pas s’engager avec nous car « enbata zikin ». Je me souviens aussi du soutien sans faille de notre mère, veuve, avec 6 enfants à charge, qui a su surmonter le regard réprobateur des bien-pensants du village.
Ensuite j’ai participé au Herri Talde, aux manifs en soutien aux preso, à Seaska ;
En tant que parente à l’ikastola de Kanbo, je suis restée plusieurs années trésorière, puis membre d’Egoitza … J’ai participé au collectif de soutien de Lorentxa et de Xan.
Ensuite en 2014 nous décidons de monter une équipe pour les municipales avec une liste qui s’appelle Nahi Dugun Herria. Idem en 2020.
Qu’est-ce qui t’a poussé à t’engager en politique au niveau municipal?
C’était une décision collégiale. Nous sommes dans une petite ville où l’euskara, le social, les enjeux environnementaux etc. ne sont pas considérés et c’est toujours le cas.
Comment as-tu, selon toi, réussi à prendre ta place au sein de la municipalité de Cambo ?
Étant longtemps les seul·s opposant·es, les seul·es à nous exprimer durant les conseils, nous avons été très rapidement identifié·es au conseil mais également dans la rue à Kanbo.
Lorsque j’ai débuté, j’avais un complexe d’infériorité pensant à tort que tou·te·s ces élu·es (dont beaucoup d’entre-eux étaient là depuis de nombreuses années) étaient les « sachant·es » . Cependant je me suis rapidement rendu compte qu’il n’en était rien mis à part les maires qui maîtrisent les sujets. Je me suis aperçu que mes questions au pôle Errobi et celles de Nahi Dugun Herria au conseil municipal répondaient également aux interrogations de membres de la majorité qui elles, n’osaient pas ou avaient les consignes de ne pas poser de questions.
Au début du mandat j’ai été très surprise de la docilité des membres de la majorité qui la plupart du temps ne disent rien. Habituée aux débats (parfois houleux) au sein de l’ikastola où tout le monde peut s’exprimer, ne pas s’exprimer est et restera un non-sens pour moi car le conseil municipal est justement un lieu de débat.
De quelles actions de ce mandat es-tu fière ?
La mise en place du dispositif de la mutuelle communale pourtant refusée par la majorité lors du 1er mandat et qu’elle a ensuite acceptée lors de ce mandat.
La signature de la charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale portée par Lilian Hirigoyen, notre colistière.
J’ai vu enfin se concrétiser le transport à la demande, projet initialement prévu pour les PMR que j’ai porté et défendu au niveau de la communauté des communes ERROBI lors du 1er mandat et qui aurait dû se mettre en place il y a 7 ans ; Malheureusement, faute de volonté politique des 11 maires du Pôle elle n’a pas vu le jour et c’est le syndicat du transport qui l’a mis en place sur tout le territoire de la CAPB le 6 janvier 2025.
Notre opposition (très énergivore) au projet de Marienia depuis 11 ans qui nous demande un travail acharné et que nous espérons gagner.
Notre présence au sein du conseil municipal nous permet d’avoir un minimum d’informations sur les projets communaux et de fait pousse la majorité à rester vigilante sur les procédures et les projets. Nous sommes comme le caillou dans la chaussure.
Quel impact cette expérience de conseillère municipale a eu sur toi / ta vie / ton quotidien ?
Elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur la vie municipale, la politique en général, l’urbanisme, les différentes strates, les compétences des différentes instances.
Personnellement, elle m’a appris à dépasser la crainte de poser des questions car je pensais être la seule à ne pas comprendre mais en fait, pas du tout ! J’ai compris qu’il valait mieux poser des questions même si elles sont mal formulées que regretter de ne pas les avoir posées.
Elle m’a appris à prendre de l’assurance pour m’exprimer en public même si je sais que je suis loin d’être parfaite. Et surtout elle m’a appris lors du porte à porte à aller rencontrer les habitants, les écouter et entendre leurs préoccupations.
Quel est ton ressenti en tant que femme élue ?
Jamais je n’ai regretté de m’être engagée car j’ai vécu des expériences très enrichissantes où j’ai beaucoup appris.
Cependant, je n’oublie pas que dans mon rôle d’opposante j’ai dû m’endurcir et ai été la cible de persiflages de certains membres de la majorité. Parfois je pense que si j’avais été un homme, les comportements auraient été différents. Mais je tiens à souligner que jamais je n’ai été la cible d’insultes.
Y a-t-il des expériences ou un vécu que tu aimerais partager à ce sujet ?
Cela m’avait fait sourire à l’époque et encore aujourd’hui.
Une fois, un élu de la majorité m’a dit « Madame je sais tout » lorsque nous débattions du PLU de Kanbo. Je n’ai jamais entendu quelqu’un dire à un homme élu lors d’un différend : « Monsieur je sais tout «
Et quelques années après au pôle Errobi, alors que j’expliquais les choix du syndicat du transport, un farouche défenseur de la voiture m’avait traité de « Madame la spécialiste » et je me suis dit que j’étais montée en grade mais aussi que c’était une réflexion bien sexiste.
As-tu des conseils à donner à une femme abertzale de gauche, qui pourrait te lire, et serait tentée de se lancer dans l’aventure des élections municipales ?
J’ai toujours été militante et cet engagement fait suite aux précédents qui avaient jalonné ma vie ; mais ma priorité restera toujours ma famille. J’ai eu la chance d’être très bien secondée par mon mari à la maison et mes enfants étaient assez grands (18, 15 et 9 ans) lorsque j’ai été élue en 2014. Je pense qu’avec des enfants en bas-âge ça doit être plus compliqué.
Étant tête de liste, j’ai été élue non seulement au conseil municipal mais également au pôle Errobi et au syndicat du transport. Je suis membre également de 2 commissions au sein de la CAPB et de 4 commissions au sein de la mairie. Cela fait beaucoup de réunions. Pour une femme (ou un homme) qui aimerait s’engager et pour une première expérience, il serait préférable de ne pas cumuler trop de fonctions.
Enfin je le redis : c’est extrêmement enrichissant et j’ai beaucoup appris et j’ai vu ce qui se fait ailleurs dans des mairies abertzale.
Il est évident qu’être élu·e dans la majorité est extrêmement facilitateur pour mettre en place des projets visant l’intérêt collectif (logement, culture, mobilité, jeunesse etc…), la promotion de l’euskara, la protection de l’environnement, la préservation des terres agricoles, l’égalité femme/homme, etc. Pour cela, il ne faut pas hésiter à s’engager, à travailler avec une équipe.
Lorsque je regarde les résultats des législatives, je vois le très bon score de Peio Dufau mais également celui du RN qui attend son heure tapi dans l’ombre. Donc : ne pas hésiter à s’engager : plus nous serons nombreux·se, plus ça sera facile.