Le projet d’extension du Centre Européen de Fret (CEF) sur le site des Barthes de Mouguerre se heurte à une opposition d’associations écologistes et de citoyen.ne.s qui dénoncent l’artificialisation de zones humides prioritaires. La Communauté d’Agglomération et la Mairie de Mouguerre estiment de leur côté que ce projet d’extension est indispensable au fret ferroviaire et à l’activité économique. Ce dossier est selon EHBai emblématique des dilemmes auxquels nous serons de plus en plus confrontés dans les années à venir. Avec cette déclaration, nous voulons rendre publique notre réflexion et notre position sur ce sujet.
Nous faisons face à un triple enjeu :
1) Devoir de cohérence avec les engagements que nous avons collectivement pris en matière de transition écologique, avec notamment l’adoption du Plan Climat-Air-Energie Territorial (PCAET) en 2021.
Rappelons que le PCAET a été adopté avec plus de 98% des voix le 19 juin 2021 : le respect de ces engagements s’impose donc à tout nouveau projet de développement. Le projet d’extension du CEF n’apporte pas l’assurance de sa compatibilité avec les engagements pris dans le PCAET :
• La demande de dérogation déposée par la SEPA en raison de l’atteinte à la biodiversité que représente l’extension du CEF a reçu, tout en étant reconnu d’intérêt public majeur, un avis défavorable du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN). Sur la base des réponses aux recommandations du CNPN, fournis par la Communauté d’Agglomération, le préfet a ensuite accordé cette dérogation (sans nouvelle consultation du CNPN).
• Nous ne savons pas si nous sommes sur la trajectoire annoncée en matière de stockage de carbone, ni comment le projet d’extension du CEF l’affecterait.
• La possibilité d’une solution alternative d’implantation (comme par exemple le site voisin des Salines, déjà artificialisé) pour l’entreprise ENOVIS ne semble pas avoir été étudiée de manière approfondie.
2) Nécessité d’intégrer le développement économique dans un projet plus large de transition territoriale, soutenable et socialement juste, qui prépare le Pays Basque aux enjeux du futur au lieu de le rendre plus vulnérable.
Le périmètre de la ZAD (puis ZAC) sur laquelle est installée le CEF a été tracé en 1974. L’arrêté préfectoral «Loi sur l’eau» d’autorisation du CEF remonte à 2000. Il est difficile de se baser dessus pour défendre une politique de développement économique en phase avec les enjeux de notre époque.
• Le rapport scientifique AcclimaTerra commandé par la Région Nouvelle Aquitaine suggère de mettre en place de grandes plaines d’inondation. Vu que le projet d’extension du CEF prévoit au contraire de supprimer des zones humides, et que les conséquences du réchauffement climatique n’étaient pas prises en compte dans l’arrêté «Loi sur l’eau» de 2000, les résultats de l’étude d’impact en cours seront déterminants. Il est irresponsable de commencer les travaux avant les résultats de cette étude.
• Le projet implique une artificialisation de surfaces et a donc des conséquences sur les quotas d’artificialisations liés à l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Le développement urbain ne doit plus se faire au gré des opportunités foncières, dans une logique de compétition des territoires. La mise en œuvre du ZAN nécessite au contraire une coopération et c’est l’esprit qui doit guider le SCOT, en cours d’écriture, afin que l’on saisisse cette opportunité de rééquilibrage économique en faveur de l’intérieur. EHBai estime donc qu’un projet comme l’extension du CEF doit être discuté à l’échelle du Pays Basque.
• L’implantation d’Enovis représenterait une source d’emplois et des retombées économiques. Il s’agit d’arguments forts et à prendre sérieusement en compte : le développement d’un emploi de qualité est évidemment un enjeu central. Mais, il faudrait étudier sérieusement l’installation d’Enovis sur un site alternatif. Il faudrait également chiffrer les bénéfices économiques et humain escomptés et les mettre en regard des coûts des externalités négatives si l’installation se fait sur le site des barthes. Des bénéfices économiques à court terme peuvent en effet s’avérer rapidement être des gouffres financiers pour la collectivité et les populations.
• Si le maire de Mouguerre refusait d’artificialiser les barthes, cela aurait un impact bénéfique pour le Pays Basque, mais représenterait un manque à gagner pour la commune. De fait, le système actuel incite à l’artificialisation. EHBai revendique pour Ipar Euskal Herria la compétence de gérer la fiscalité écologique afin de mettre en place des mesures de compensation et de redistributions en faveur d’une transition écologique territorialement et socialement juste.
• Plus généralement, les bénéfices à moyen et même à court terme d’une politique respectueuse des engagements en matière d’émission de gaz à effet de serre et de maintien de la biodiversité sont immenses par rapport à une politique de l’inaction, surtout pour les populations les plus défavorisées qui n’auront pas les moyens de s’adapter. Certains secteurs pâtiront inévitablement de la réorientation de l’économie. Les effets de cette réorientation doivent être anticipés, et l’accompagnement des salariés des secteurs concernés doit absolument être mis en place. EHBai revendique également les compétences nécessaires pour pouvoir mobiliser pleinement le levier de la formation qui sera en enjeu majeur de la transition
territoriale.
3) Défi de gouvernance. Les questions que posent le projet d’extension du CEF, nous les retrouverons sous d’autres formes à de multiples reprises dans les années à venir : conflits d’usage autour de l’eau, impacts environnementaux du déploiement des énergies renouvelables, etc.
Si nous voulons éviter que la société se déchire sur ces sujets, nous devons les anticiper et surtout apprendre à faire des arbitrages entre des intérêts contradictoires. Cela n’a malheureusement pas vraiment été le cas sur ce projet.
• S’il y a eu des délibérations et des débats fréquents entre le conseil exécutif et le conseil permanent de la CAPB, il n’y a pas eu de réunion publique à l’initiative du secteur institutionnel. Le permis d’aménager a été pris après une procédure de «participation du public par voie électronique» obligatoire mais menée de manière expéditive qui n’a permis aucun débat.
• Il est difficile de se faire une opinion éclairée sur ce projet car nous ne disposons que de très peu d’informations. EHBai estime que l’on devrait donner à la société civile la possibilité de participer aux côtés des institutions au suivi de ces questions.
Compte tenu de ces réserves, la position d’EHBai est la suivante :
• Au vu des éléments actuellement disponibles, nous ne pouvons pas soutenir la totalité de ce projet, qui suppose une artificialisation de terres dont une partie (Enovis) est en zone humide prioritaire.
• Nous demandons une étude approfondie autour de la possibilité d’implanter Enovis sur un site alternatif.
• Nous soutenons le projet de fret ferroviaire qui participe à l’objectif indispensable de décarbonation des transports, sous réserves de l’aboutissement des études d’inondabilité et environnementales et à l’obtention des autorisations administratives, en particulier pour la deuxième phase.
• Nous estimons qu’un débat transparent doit être organisé à ce sujet, qui laisse l’opportunité à la société civile de développer ses propositions.