OSO LATZA IZAN DA !

Le 13 février 2021, lors de la journée contre la torture en Pays Basque, ont été commémorés les 40 ans de la mort de Joxe Arregi. Torturé à mort entre les mains de la police espagnole, « Oso latza izan da » (« ça a été très dur ») témoigna-t-il avant de mourir. Depuis, ce jour-là est devenu une journée de commémoration, mais aussi de revendication. Nous ne pouvons, ni devons oublier les 5657 basques torturés ; toute cette souffrance a été méticuleusement répertoriée par Euskal Memoria.

Des milliers de Basques ont enduré dans leur propre chair cette ignominie destructrice, laissant des séquelles indélébiles. L’utilisation systématique de la torture lors des gardes à vue en Espagne visait, à obtenir des auto-inculpations dans la souffrance, à valider des scénarios orchestrés par les forces de police… Mais avant tout, la torture visait à terroriser les militants basques, mais aussi l’ensemble de la société. Il était de notoriété publique que dans le commissariat d’Intxaurrondo de Saint-Sébastien, la Garde civile torturait en toute impunité.

Combien de prisonniers basques sont actuellement toujours incarcérés sur des dossiers ne reposant uniquement sur des déclarations obtenues sous la contrainte ? Combien de citoyens basques vivent encore dans leur chair cette violence qu’ils ont subie ? Sans aucune reconnaissance institutionnelle de leur qualité de victime de l’Etat espagnol.

Par une macabre ironie du sort, le 13 février 2021, le tristement célèbre General Galindo est décédé des suites du COVID-19. Galindo est mort libre à 71 ans. L’homme qui a incarné cette inhumanité est mort libre. Toujours et encore célébré par les associations de Garde Civile, le PP et VOX. Décoré à plusieurs reprises, il avait bien été condamné dans les procès du Gal, pour la mort des réfugiés basques Joxean Lasa et Joxi Zabala, enlevés à Bayonne en 1983. Mais, il n’aura passé que 4 années derrière les barreaux, libéré pour cause de santé par le gouvernent socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero. Quelle injustice criante pour toutes les victimes de cette barbarie !

L’actualité de ces derniers jours, nous a encore apporté son lot de révélations. Un media espagnol a filtré une conversation enregistrée entre un responsable des renseignements espagnols et un garde civil. Dans cet enregistrement, ils confirment bien que Mikel Zabalza a été torturé, et qu’il en est mort. Mikel avait été arrêté le 26 novembre 1985 et amené à Intxaurrondo. Son corps ne réapparaîtra que 20 jours plus tard, dans la rivière Bidasoa. Version officielle, il se serait échappé. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, José Barrionuevo déclarait : « Il n’existe pas de signe de violence sur le corps de Mikel Zabalza ». Cet enregistrement vient confirmer ce que nous savions tous, Mikel est mort sous la torture.

On apprend aussi dans cet enregistrement que Joxean et Joxi ont été achevés d’une balle dans la tête, après avoir creusé eux-mêmes, leur tombe. Comble de l’horreur.

Face à ces éléments irréfutables, la député d’EH Bildu Mertxe Aizpurua, a demandé à Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol, d’être le premier dirigeant espagnol à reconnaître la réalité de la torture en Euskal Herri. Silence.

Il nous faudra nous mobiliser et travailler à ce que cette page de notre histoire soit connue, reconnue et assumée par l’Etat espagnol, mais aussi par l’Etat français.

Car les autorités françaises ont envoyé des dizaines de citoyens basques vers la torture. A partir de 1986, l’Etat français a mis en œuvre des expulsions, avec remise aux mains des forces de l’ordre espagnoles. Procédure illégale, car aucune procédure d’extradition n’était présentée, légalement ces militants basques n’avaient donc aucune charge à leur encontre dans l’Etat espagnol. Ils auraient donc dû être laissés libres le jour de leur fin de peine. Au lieu de cela, ils étaient remis aux forces de polices espagnoles, et pour nombre d’entre eux, torturés, puis incarcérés.

Ainsi, la France avait-elle été condamnée par le Comité Contre la Torture de l’ONU pour l’expulsion de Josu Arkauz en 1997, qui avait été par la suite, torturé par la Garde Civile espagnole. Josu Arkauz ne quittera sa geôle espagnole que le 23 novembre 2020. Les autorités françaises avaient été informées des risques qu’il encourait ; des articles de Libération des 14 et du 15 janvier 1997 en faisaient part. Mais rien n’y a fait.

A chaque expulsion de prisonnier basques, une véritable campagne de sensibilisation des médias de la région de France où le prisonnier était incarcéré, était mise en place. Des conférences de presse, des réunions avec des associations et des partis politiques locaux, étaient organisées dans toute la France. Les dernières semaines précédant la date de sa fin de peine, le prisonnier entrait en grève de la faim, pour dénoncer sa situation et arriver dans un état de plus grande faiblesse possible à la frontière, utilisant son propre corps comme dernier rempart face à l’ignominie.

Après des années de campagnes menées par Kordinaketa puis Askatasuna, les expulsions de prisonniers basques ne donnaient plus lieu à des remises par la contrainte. Le risque de torture était dénoncé par de nombreuses associations et partis. Ainsi en 2001, Henri Malberg, militant historique du PCF, responsable de la commission justice du PCF, attirait l’attention du gouvernement sur cette pratique illégale, après quoi le ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, avait assuré que les expulsions ne pourraient plus être suivies d’interpellations. Ces dynamiques menées par le mouvement anti répressif, avaient obtenu la fin des remises illégales.

Mais par la suite, du fait de la mise en place du mandat d’arrêt européen, les autorités espagnoles ont utilisé cette procédure pour obtenir la remise des prisonniers basques, bien souvent sur des dossiers ne reposant que sur des déclarations obtenues sous la torture. Par cette procédure elles ont obtenu l’aval des autorités françaises, alors même que la défense des prisonniers soulevait le fait qu’une décision de justice ne peut ni valider ni se baser sur des déclarations obtenues sous la contrainte. Cela est contraire aux fondements des droits de l’homme. Les condamnations de l’Espagne par des instances internationales pour des cas de tortures avérés sont nombreuses, et les autorités françaises ne peuvent les ignorer. Pourtant.…

Le mercredi 16 décembre 2020, tombait la décision de la cour d’appel de Paris concernant le refus d’application d’un mandat d’arrêt à Iratxe Sorzabal, consécutif à la reconnaissance sans précédent, par le parquet général des faits de torture subis par Iratxe. Cela équivalait à une première reconnaissance par la justice française que des mandats d’arrêts peuvent bel et bien, être basés sur des déclarations obtenues sous la torture. Cette décision devrait marquer un changement. Pourtant…

Là aussi, il nous faut passer à l’étape supérieure. La torture a été pratiquée en Euskal Herri ! Plus que jamais, l’exigence de la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle prend du sens. Pour ces milliers de victimes, mais aussi pour tout ce que cela suppose dans la perspective de la libération des prisonniers politiques basques. Pour que jamais plus, un militant n’ait à témoigner OSO LATZA IZAN DA !

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